
Coucou à tous,
On se retrouve aujourd’hui pour une nouvelle interview. Cette fois, je vous propose d’en savoir davantage sur l’auto-édition et l’édition numérique grâce à Elizabeth Sutton, une des co-auteure de l’ouvrage « Publier son livre à l’ère numérique » (que je vous recommande chaudement!). Elle est également la créatrice d’IDBOOX, une mine d’informations sur l’actualité du livre numérique et les terminaux de lecture. Elizabeth est aussi consultante en édition, marketing et communication. Elle accompagne les auteurs indépendants dans le lancement de leur livre. Je la remercie beaucoup d’avoir accepté de répondre à mes questions lors de sa venue à Bruxelles !
- Quelles sont pour vous les mutations les plus importantes dues au développement de l’édition numérique ?
Tout d’abord, par définition, un livre numérique ne peut pas être en rupture de stock ce qui est un avantage considérable. Ensuite, il est désormais possible de produire autre chose que des livres ePub, homothétique, et de faire du transmédia, du livre enrichi avec du contenu. Pour terminer, la possibilité d’exporter le livre beaucoup plus facilement qu’avant dans la mesure où cela coûte beaucoup moins cher. Un éditeur actuellement peut, s’il est un minimum à l’aise avec le marketing, directement communiquer vers l’étranger sans avoir à passer par la revente des droits (traduction) et sans passer par des cargos qui mettent plusieurs mois à arriver. C’est l’éditeur qui vend directement à l’étranger.
Ces trois mutations montrent que nous sommes dans des business model différents qui nous permettent d’inventer, d’innover, si les acteurs de la chaîne sont toutefois intéressés par l’innovation, ce qui n’est pas toujours évident pour tous.
- Estimez-vous qu’à l’heure du développement numérique, la chaîne « traditionnelle » du livre est bouleversée ? Pensez-vous qu’elle puisse encore davantage se modifier à l’avenir?
Clairement oui, c’est désormais une volonté de tous les acteurs de la chaîne que ce soit l’auteur, l’éditeur, les diffuseurs, ils ont tous envie de proposer des choses innovantes. Les business model vont, par ailleurs, évoluer, je l’espère en tout cas. Concrètement, lorsque l’on commercialise un livre papier, il existe deux moyens de le vendre. En matière de livre numérique, j’ai détecté une vingtaine de modèles économiques avec chacun leur communication et leurs techniques marketing. Nous allons donc bien évidemment vers des évolutions que ce soit à la fois à travers les modes de lecture, les manières de lire mais aussi dans la façon de les commercialiser, de les distribuer, on parle beaucoup d’interopérabilité du livre numérique aujourd’hui. Par exemple, de nouvelles DRM sont étudiées en ce moment pour les rendre moins sclérosées qu’actuellement.
Nous allons donc évidemment continuer à évoluer que ce soit dans les contenus, mais aussi dans les contenants (montre connectée, réalité virtuelle,…). Ceux-ci créent de nouvelles réalités, comme l’apparition de la lecture courte, 5-10-15 minutes, le lecteur cherche le « court mais percutant », plutôt que les lectures de 1500 pages. Mais, dans un autre temps, il est également ravi de posséder ce genre d’ouvrages sur sa liseuse lorsqu’il part en voyage.
- Votre vision actuelle de l’auto-édition est-elle différente par rapport à celle que vous aviez lors de l’écriture du livre ? Voyez-vous un changement dans les mentalités en un peu plus d’une année ?
Depuis la sortie du livre il y a un an, j’ai constaté qu’on a fait bouger les lignes, ce qui était un de mes objectifs. Je voulais premièrement montrer qu’on pouvait publier un livre chez un grand éditeur, ici Eyrolles, en format papier tout en gardant ses droits en numérique et l’exploiter en auto-édition.
Ensuite, le livre est sorti en janvier, en mars se déroulait le salon du livre de Paris et le SNE à qui j’avais eu l’occasion d’envoyer le livre, m’a contactée pour mettre en place une conférence sur l’auto-édition sur le stand du SNE alors qu’il avait toujours rejeté l’auto-édition. Cela a véritablement été un signal fort.
Je constate donc actuellement, un an après la sortie du livre, que l’auto-édition commence à entrer dans les mœurs. Alors qu’elle était précédemment perçue comme un phénomène, maintenant, elle commence à faire partie de la chaîne du livre. Sachant également que l’auto-édition n’est actuellement dans aucune statistique. Certains chiffres apparaissent suite à des regroupements d’indépendants mais rien n’est encore fiable. Le seul chiffre en France est celui de la BnF sachant qu’aujourd’hui, un auteur indé n’est pas obligé d’avoir un numéro ISBN. Mais c’est un marché ! On a des success stories. Certains auteurs font des cartons, à savoir, vendre plus de 2500 exemplaires et parfois des 15000, 20000 exemplaires, seuls !
Depuis la sortie du livre, il n’y a pas eu énormément d’évolutions mais on observe une certaine accalmie. On est davantage dans un bon compromis entre l’édition « traditionnelle » et l’auto-édition.
Je suis persuadée toutefois, même si aucun chiffre ne le montre, que l’auto-édition prend des parts de marché à l’édition traditionnelle. Davantage encore dans les pays anglosaxons où la chûte des ventes d’ebooks est indéniablement liée au développement de l’auto-édition qui est un énorme marché.

- Pourquoi selon vous l’auto-édition connait-elle une telle expansion que ce soit au niveau de l’écriture mais aussi en termes de lecture ?
Tout d’abord, on a la possibilité d’être publié, vendu et lu de façon très simple. On n’est plus du tout dans le modèle du « compte d’auteur ». Les outils sont désormais plus simples d’utilisation et globalement, si vous avez un manuscrit dans un tiroir et que vous le mettez en ligne sur une plateforme, en 24h, vous pouvez techniquement être lu. La rapidité des outils et la simplicité sont non négligeables. L’auteur n’a plus l’impression aussi d’être spolié par son éditeur du point de vue des droits d’auteur.
La proximité avec le lecteur est également beaucoup plus importante. Les réseaux sociaux permettent de rassembler une communauté autour de son livre.
Ensuite, vous le vendez beaucoup moins cher. Il est impératif de fixer un prix entre 3 et 5 euros pour un livre numérique, surtout si c’est votre premier, sans quoi vous risquerez vraiment de ne rien vendre. Ce prix peut également varier très facilement.
L’impression à la demande (POD) est également très intéressante. Alors qu’avec le « compte d’auteur » on payait 100 exemplaires à l’éditeur sans aucune garantie de les rentabiliser. La POD permet actuellement d’imprimer autant d’exemplaires que souhaité voire même un seul exemplaire sans que cela ne coûte de l’argent à l’auteur. Cela lui permet donc de toucher autant le lecteur papier que numérique ce qui est un avantage.
- Quels sont pour vous les aspects positifs et négatifs de l’auto-édition ?
L’aspect positif est sans aucun doute la liberté. On a la possibilité de se faire publier et de se faire connaître relativement facilement. Dans l’absolu on touche des droits d’auteur quelque part plus important.
Les aspects négatifs sont, pour commencer, que cela ne suffit pas. Peut-être que publier était suffisant à l’époque pour les premiers auteurs auto-édités mais actuellement, une véritable concurrence se vérifie. Aujourd’hui, l’auteur qui n’investit pas un petit peu dans différents services n’y arrivera pas. Si la couverture n’est pas digne, que l’ouvrage n’est pas relu, il n’y aura aucun miracle. Si l’on pouvait tolérer quelques fautes d’orthographe et erreurs de syntaxe précédemment, elles sont aujourd’hui inimaginables vu la professionnalisation du secteur. Un auteur doit absolument décider, avant de choisir le prix de son livre, combien il est prêt à investir. Ses campagnes Facebook, par exemple, il est important de dresser le budget qu’on est prêt à leur accorder. Tous les auteurs ne l’ont pas encore compris ou s’ils l’ont compris, ils ont encore du mal à l’appréhender.
Un autre côté un peu plus négatif est qu’il devient de plus en plus compliqué de se faire voir sur les stores. Avant lorsqu’un auteur publiait sur KDP, la plateforme faisait tout pour le mettre en avant. Désormais, les mises en avant sont extrêmement rares sur Amazon. Sur Kobo, cela peut être un peu plus évident parce qu’ils sont encore en quête de part de marché.
Le côté auto-édition et les faibles coûts que cela nécessite, il fallait être naïf pour ne pas croire qu’on allait y arriver. La notion d’auteur-entrepreneur est véritablement dans cette philosophie, on devient le business man/woman de son livre. On n’est plus seulement un « auteur ». Ou alors, on devient un auteur-entrepreneur mais on apprend à déléguer certaines étapes, sachant qu’on ne saura pas tout faire si on a essayé mais qu’on voit que ça ne conclut pas.
- Pensez-vous que tout le monde peut écrire ?
Dans l’absolu oui, c’est comme tout le monde peut peindre. Je trouve que c’est super de tenter le coup et de ne pas garder son manuscrit dans un tiroir. Il y a un côté transmission qu’il est important de relever, même si ce sont des histoires de fiction. A partir du moment où on réalise un travail correcte, où on ne se moque pas du lecteur qui est au bout de la chaîne et qu’on ne parle pas trop de son propre nombril. Pourquoi pas.
Tout le monde a aussi la possibilité de se publier mais on ne va pas rêver, nous n’allons pas tous devenir Marc Levy ou Marc Twain mais techniquement oui, tout est possible.
- Quels est ou sont pour vous les qualités indispensables dont doit faire preuve un auteur auto-édité pour réussir ?
Ne pas avoir peur des mauvaises critiques et surtout l’accepter. Je connais un auteur qui est devenu fou à la première mauvaise critique de son premier livre.
Accepter de sortir du cercle amical avant de publier. Prendre des bêta-lecteurs est important, quelqu’un que je ne connais absolument pas. Il est important de retravailler son manuscrit avant de le publier.
Prévoir, faire le rétroplanning de son livre. Comme un éditeur traditionnel, il faut préparer le terrain, ne pas se laisser déborder. Accepter de ne pas vendre ou de publier un peu gratuitement pour faire parler de soi. Tous les auteurs n’y sont pas prêts, ce n’est pas évident.
Il est aussi important d’écrire régulièrement car écrire un livre demande un tel effort que les auteurs s’épuisent eux-mêmes, surtout les indépendants qui ont cherché à comprendre comment fonctionne la technique, à se lancer sur les réseaux sociaux. Du coup, ils mettent en attente leur première mission qui est d’écrire et de sortir un prochain livre dans les mois, années à venir. Le travail d’écriture est important.
Il est aussi nécessaire de s’informer, de voir ce qui se fait, ce qui se développe dans le domaine.
Ne pas hésiter aussi à se mettre un peu en avant, ne pas avoir peur de son travail et oser en parler, le montrer, intervenir lors de débats, afin de se créer un réseau. Faire du networking en tant qu’auteur auto-édité est super important.
- Pensez-vous qu’il est préférable pour un auteur auto-édité de s’entourer pour réussir ?
Je pense que c’est très recommandé, ce n’est pas impératif mais c’est recommandé parce qu’on ne peut pas tout faire, même si on est un « couteau-suisse » on ne peut pas tout faire et il faut accepter de déléguer un peu. Tout du moins, si on ne s’entoure pas en rétribuant quelqu’un, il faut s’entourer d’autres auteurs qui vivent la même chose que vous pour ne pas se sentir complètement seul. La solitude de l’auto-édité peut aller plus loin que la page blanche de l’auteur « traditionnel ». Il faut être ouvert.
- Quel est pour vous l’avenir de l’auto-édition ?
Je pense évidemment que les outils vont s’améliorer. Je pense aussi à autre chose de génial dans le futur, le fait d’être accepté dans les bibliothèques, ce sur quoi je travaille actuellement. J’aimerais beaucoup qu’on trouve des moyens techniques de mettre en relation les indés avec les bibliothèques, je pense que c’est fondamental pour l’avenir de l’autoédition. Des gens ne sont pas prêts à mettre l’argent, même 2.99€, la bibliothèque peut le faire et exercer un rôle de facilitateur qui pourrait être un bon axe de valeur du marché.
L’avenir, c’est aussi qu’on ait des auteurs qui osent aller plus loin que le statique. Je pense que les outils vont également de plus en plus leur permettre d’y arriver. Les auto-édités devraient également développer la traduction des livres, ce qui demande évidemment un investissement. Mais des traducteurs se spécialisent dans les petits budgets et sortir son livre directement en trois langues : français, anglais espagnol devient possible. Si son livre commence à bien fonctionner, on peut également imaginer se payer les services d’un traducteur pour vendre worldwide.
Je pense aussi que l’auto-édition dans la BD va se développer car beaucoup de choses sont à faire. De nouveaux segments éditoriaux risquent aussi de se développer dans le futur.
J’espère que les surprises seront nombreuses car nous sommes encore très tôt dans le développement de l’auto-édition. Il y a huit ans, on n’aurait jamais imaginé qu’EL James aurait vendu 1 million de 50 Shades seule.
- Vous évoquez dans l’introduction de votre livre qu’il est inutile d’opposer l’édition « traditionnelle » et l’auto-édition, pensez-vous qu’une collaboration peut véritablement naître entre ces différentes sortes d’édition ?
Oui, c’est clair. De toutes les manières, ça existe de facto d’une part avec les auteurs hybrides (indé et trad) et d’autre part, on a très bien vu que Michel Lafon et Gallimard, par exemple, sont tous aux aguets ! Plus on avance, plus je le vois. Dans l’absolu, la cohabitation est évidente. C’est comme les vieilles thèses qui disaient que l’ebook allait tuer le livre papier. Mais non. Aucune chronophagie n’est visible. Le côté natif, publier un livre papier avec un éditeur en gardant ses droits numériques, c’est un modèle qui doit et qui va se développer. Tout est négociable dans un contrat.
Voilà qui est terminé, j’espère que vous en avez davantage appris sur ces modèles d’édition en expansion que sont l’auto-édition et l’édition numérique. Je remercie encore Elizabeth Sutton pour son expertise dans le domaine !
Quant à nous, on se retrouve très bientôt !